Crédit immobilier : ça se durcit pour les taux et les conditions de prêt

Pierre Chevillard
Mis à jour par
le 11 mai 2020
Rédacteur en chef chez PAP.fr

Les taux immobiliers continuent d’augmenter. Et les banques, plus prudentes avec la crise du Covid-19, serrent la vis sur les critères d’emprunt. Mais les choses pourraient s’améliorer…

© Fotolia/ Maria.P

La hausse des taux continue. La moyenne brute (hors assurances) s’établit à 1,17 % en avril 2020, selon une étude de l’Observatoire Crédit Logement/CSA du 5 mai dernier, contre 1,14 % en mars et 1,13 % en février, tout près du plancher record de novembre 2019 (1,12 %). Oui, mais voilà : les statistiques de Crédit Logement/CSA portent sur les prêts effectivement accordés en avril 2020 donc sur des demandes formulées six à huit semaines auparavant. D’où un décalage avec les barèmes actuels des banques. La question, c’est donc de savoir où en sont les taux en mai 2020 et quelles sont les conditions des banques pour accorder un crédit. 

Mai 2020 : les taux immobiliers et le crédit en bref

  • Les taux augmentent : sur vingt ans, la moyenne hors assurances est aujourd’hui à 1,50 %, contre 1,40 % en avril et 1,10 % lors du plancher record d’octobre 2019.
  • Raisons de la hausse : la conjoncture est plus risquée et les banques reconstituent des marges mises à mal par la chute des taux de 2019.
  • Les conditions de crédit sont plus strictes. Les prêts ne dépassent plus 25 ans, le taux d’effort est plafonné à 33 % et les banques demandent davantage d’apport. Assurance et frais de dossier se négocient difficilement.
  • Après le choc de fin mars/début avril, les banques reviennent sur le marché en mai. Certaines pourraient même assouplir leurs conditions pour capter de nouveaux clients.
  • Les emprunteurs peuvent obtenir un prêt immobilier en respectant les conditions bancaires détaillées dans ce dossier (voir l'encadré en bas de page sur ces critères parfois oubliés).

Taux réels. Selon les courtiers, qui reçoivent chaque mois les barèmes bancaires, la hausse se confirme. Pour les emprunts sur 20 ans, par exemple, la moyenne brute tourne autour 1,50 % début mai 2020, contre 1,40 % début avril et 1,10% au plus bas historique de l’automne 2019. PAP a pu consulter les barèmes de mai 2020 de cinq grandes banques. Résultat : pour les emprunteurs en couple qui gagnent de 60 000 à 100 000 € par an et qui disposent d’un apport de 15 % hors frais de notaire, le taux sur 20 ans oscille entre 1,30 et 1,90 % brut, une progression moyenne de 0,10 à 0,20 % en un mois et d’environ 0,50 % par rapport aux planchers de l’automne 2019.

L’impact de la hausse. En termes de capacité d’emprunt, les conséquences restent limitées. « Si les augmentations successives de taux peuvent paraître importantes, elles ne modifient pas considérablement les mensualités des emprunteurs », estime Franck Roullier, directeur général du courtier Empruntis. Aujourd’hui, pour 200 000 € sur 20 ans à 1,50 % brut (taux moyen), l’échéance mensuelle s’établit à 965 €. Ce crédit est accessible à un ménage emprunteur gagnant 2 900 € minimum (règle des 33 % de taux d’effort). Pour le même prêt mais à 1,10 % (plancher record de 2019), la mensualité se chiffre à 929 €. Il fallait gagner au moins 2 800 € net mensuels pour décrocher cet emprunt.

Les taux de crédit immobilier au 11 mai 2020 

  • 10 ans : de 0,90 à 1,90 %, taux moyen à 1,25 %. 
  • 15 ans : de 1,15 à 2,15 %, taux moyen à 1,35 %. 
  • 20 ans : de 1,20 à 2,15 %, moyenne à 1,50 %. 
  • 25 ans : de 1,55 à 2,50 %, moyenne à 1,70 % 

Taux moyens donnés à titre indicatif. Sources : barèmes bancaires et courtiers en prêts immobiliers. Le taux d’un crédit est fixé au cas par cas, en fonction des caractéristiques du projet et du profil de l’emprunteur. Attention : ces taux sont bruts et ne prennent pas en compte l’assurance, les garanties (hypothèque ou caution) et les dépenses annexes comme les frais de dossier.

Risque de crédit. « La hausse s’explique notamment par l’intégration, par l’ensemble des banques, d’une augmentation du coût du risque provoqué par la crise », explique Alban Lacondemine, président fondateur du courtier Emprunt Direct. Croissance qui dévisse, entreprises en difficulté, chômage partiel ou encore perspectives de licenciements entraînent des incertitudes sur les remboursements de prêts. Pour se couvrir, les banques augmentent leurs taux. En fait, elles appliquent la règle commune à toutes les opérations financières : plus le risque est grand, plus le taux doit être élevé. Les emprunts les plus longs, donc les plus risqués, sont les premiers concernés. Aujourd’hui, le taux moyens des crédits sur 25 ans dépasse souvent les 2 %, contre 1,70 % en octobre 2019.

Chercher la marge. Si les taux montent, c’est aussi parce que les banques reconstituent leurs marges. Elles gagnaient très peu d’argent sur les prêts immobiliers depuis 2016 selon un rapport du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF). Certes, elles rentabilisaient ces crédits en vendant aux emprunteurs assurances et placements. Mais cette stratégie devient incertaine à l’heure de la crise du coronavirus. Ce n’est pas un hasard si les taux minima accordés aux clients les plus rentables, sur lesquels les banques ne faisaient aucune marge en 2019, sont en nette progression. Aujourd’hui, les meilleurs dossiers empruntent à 1,20 % brut sur vingt ans, contre 0,60 % brut il y a huit mois.

Prêt au prix fort. Les banques grattent de tous les côtés pour refaire de la marge. Depuis la mi-2019, elles imposent, dans la majorité des cas, leur propre assurance de prêt, sur laquelle elles font des bénéfices. Et elles refusent souvent la délégation d’assurance (possibilité pour l’emprunteur de choisir un assureur extérieur), qui permet de diviser ce coût par deux, alors que cette délégation est permise par les lois Lagarde, Hamon et Bourquin. Dans la même logique, les banques ne négocient plus les frais de dossier. Au résultat, le Taux annuel effectif global ou TAEG (coût total du crédit tout compris) grimpe…

Taux de l'usure. Avec l’augmentation des frais annexes et la hausse des taux immobiliers, certains crédits se heurtent au taux de l’usure, ce plafond que le TAEG ne peut légalement pas dépasser. Pour les prêts supérieurs à 20 ans, le taux de l’usure s’établit à 2,51 % au deuxième trimestre 2020. Or aujourd’hui, le taux brut d’un prêt sur 25 ans dépasse souvent 2 %. En ajoutant l’assurance, les frais de dossier et de garantie, le TAEG dépasse le taux de l’usure. Et le crédit est refusé… Ceux qui paient leur assurance au prix fort (fumeurs, seniors, etc.) sont également concernés.  

Crédit et chômage partiel : comment ça marche ?
Comment les banques vont-elles calculer l’emprunt de ceux qui auront été au chômage partiel et qui auront touché 84 % de leur salaire net pendant plusieurs mois ? Selon le courtier Vousfinancer, avec 3 000 € net et une mensualité de 990 €, on emprunte 207 300 € à 1,40 % brut sur 20 ans. Au chômage partiel, le salaire passe à 2 520 € et la mensualité maximale à 830 €. De quoi emprunter 173 800 €, une perte de 33 000 €. « Beaucoup de banques se basent sur le revenu net fiscal annuel et devraient donc prendre comme référence le salaire habituel, surtout si l’emprunteur n’est plus au chômage partiel au moment de sa demande… », tempère Sandrine Allonier, porte-parole de Vousfinancer.

Des conditions d’emprunt plus strictes

Les banques serrent la vis. Côté critères de prêt, ça coince aussi. Ce qui ne date pas d’hier. Fin 2019, le Haut Conseil de stabilité financière pousse les banques à réduire le risque de crédit pour leur permettre de résister à une éventuelle crise. Il leur recommande de limiter la durée des crédits à 25 ans et le taux d’effort des emprunteurs à 33 % de leurs revenus. Dans le même temps, les banques demandent davantage d’apport personnel. Résultat : sur décembre 2019/février 2020 (avant la crise), le nombre de prêts accordés chute de 13 % selon Crédit Logement/CSA. Les principales victimes, ce sont les primo-accédants. Disposant de peu d’apport et de salaires bas, ils ne cadrent plus avec ces critères…

Critères exigeants. Avec la crise du Covid-19, les banques resserrent encore les conditions de crédit immobilier. « Elles anticipent une dégradation économique dans les prochains mois et nous demandent, dans les dossiers que nous leur présentons, d’être plus vigilants sur la situation professionnelle des emprunteurs, le secteur d’activité dans lequel ils travaillent, la valorisation du bien et l’épargne après projet en cas de coup dur. Elles sont clairement plus prudentes qu’en 2019 », signale Jérôme Robin, fondateur du courtier Vousfinancer.

Moins de crédit… Hausse des taux, durcissement des critères d’emprunt, prudence des banques, impact de la crise, taux de l’usure : le financement immobilier paie la facture au prix fort. Sur février/avril 2020, le nombre de prêts accordés plonge de 25 % par rapport à la même période de l’année précédente s’alarme l’Observatoire Crédit Logement/CSA. En prenant en compte tous ces facteurs, ce sont 220 000 ménages qui seraient exclus de l’accession à la propriété entre 2020 et 2021 selon l’universitaire et spécialiste du logement Michel Mouillart.

Prêter, c’est aussi l’intérêt des banques

Fin de la hausse ? Le tableau n’est pourtant pas si noir. « La hausse des taux reste contrôlée et ne devrait pas se poursuivre », estime Philippe Taboret, directeur général-adjoint de Cafpi. Pour les banques, les conditions de financement sont bonnes. Les taux des indices financiers reculent et la Banque centrale européenne (BCE) applique une politique très accommodante, qui associe taux zéro, voire négatifs, et fourniture d’abondantes liquidités aux banques. Et si ces dernières montent encore leurs taux, le marché du crédit immobilier pourrait bien s’écraser contre le mur du taux de l’usure.

Le retour des banques. Autre bonne nouvelle : les banques reprennent du service après le coup d’arrêt de fin mars/début avril. Selon le courtier Vousfinancer, 80 % d’entre elles acceptent les nouvelles demandes de prêt. « La gestion des dossiers en cours se fait presque normalement », confirme Philippe Taboret. « Le montage des nouveaux dossiers est reparti à la hausse et les banques acceptent désormais d’étudier les nouvelles demandes. » Reste que les emprunteurs doivent prévoir des délais plus longs. Mieux vaut, dans les compromis de vente, allonger à 60, voire 90 jours la date butoir pour obtenir le crédit, par exemple.

Crédit : une attestation pour emprunter !
Certains courtiers proposent de faciliter le financement des particuliers. Comment ça marche ? Le candidat à l’emprunt leur fournit les documents essentiels (trois derniers bulletins de salaire, trois derniers relevés de compte et justificatif d’apport personnel et dernier avis d’imposition). Ensuite, le courtier calcule sa capacité d’emprunt sur la base de ces pièces officielles. Un document de synthèse est édité (Visa pour le crédit chez Meilleurtaux, Passeport emprunteur chez Vousfinancer). Au résultat, l’emprunteur connaît son budget et peut présenter au vendeur des données fiables sur sa solvabilité. 

Reprise des négociations. Certains prêteurs retrouvent même le goût de l’offensive. « Une grande banque vient d’ouvrir les portes à la négociation et accepte d’accorder de meilleures conditions, notamment aux primo-accédants », confie Didier Laporte, expert en crédit et patron d’Universal Broker Services. « Ces emprunteurs peuvent décrocher un rabais sur leur taux et obtenir une délégation d’assurance pour faire baisser le coût total du crédit. » Cette question d’assurance marque une vraie nouveauté. Habituellement, les banques tordent le nez à l’idée de voir leurs emprunteurs souscrire une autre assurance que celles qu’elles leur proposent puisqu’elles font de la marge sur leurs contrats.

L’intérêt du crédit. Ce changement d’attitude pourrait bien faire des émules. Car pour les banques, le crédit immobilier est un produit sûr (grâce à des critères d’octroi plus que rigoureux, le taux de défaut est le plus bas d’Europe). C’est aussi un produit qui rapporte : les marges sont en hausse et la possibilité de rentabiliser l’opération par la vente de produits financiers reste réelle même si la crise la rend plus risquée. Et Didier Laporte d’ajouter : « avec des particuliers qui reviennent sur le marché, les banques qui refusent les demandes de crédit risquent de perdre des clients solvables et rentables. Peuvent-elles se le permettre dans les circonstances actuelles ? »

Crédit immobilier : 5 conseils pour obtenir un prêt

  • Emprunter commence par la chasse à l’information. Vous devez connaître tous les tenants et aboutissants du crédit immobilier pour bien comprendre comment ça marche (taux, assurances, garanties, frais annexes…).
  • Prenez en compte les critères de base des prêts immobiliers. Il vous faut un minimum d’apport (10 % du montant du projet hors frais de notaire, taux d’effort toujours inférieur à 33 %, pas de prêt sur plus de 25 ans.
  • Les banques veillent à votre tenue de compte bancaire, à la gestion de vos finances personnelles et à la stabilité de votre situation professionnelle. Elles cherchent à limiter les risques et ne prêtent qu’à ceux qui peuvent rembourser.
  • Les banques vous considèrent comme un placement. Transférer votre épargne chez l’établissement prêteur, lui acheter des assurances, des produits financiers facilitent l’obtention du crédit immobilier.
  • Le recours à un courtier peut être utile. Cet intermédiaire vous aide à monter le dossier. Il connaît la politique des banques et peut vous orienter vers celle qui pourra vous financer. Vous ne payez le courtier que si le crédit est accordé.

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