Acheter en union libre : indivision, SCI ou tontine ?

Nathalie Giraud
Mis à jour par
le 20 avril 2022
Juriste chez PAP.fr

Si les couples mariés ou pacsés doivent se référer à leurs conventions pour déterminer lequel des époux ou partenaires est propriétaire du bien, la situation des concubins est différente. Aucun texte ne prévoit spécialement l'achat immobilier par deux concubins.

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Initiateur de l'actuel Code civil, Napoléon Bonaparte déclarait : « les concubins se désintéressent de la loi ; la loi se désintéresse d'eux ». Avec une telle affirmation tout est dit, ou presque. Le droit français ignore l'union libre.

Sur le plan civil, si les concubins n'ont rien prévu, ils ne peuvent pas hériter l'un de l'autre. Ils sont considérés comme de véritables étrangers.

Sur le plan fiscal, même si les droits de donation sont aujourd'hui un peu moins élevés, les concubins sont largement plus taxés que les personnes mariées.

Pour l'achat d'un bien immobilier, lorsque l'on est mariés ou pacsés, des règles spécifiques (tenant au contrat de mariage ou à la convention de Pacs) s'appliquent et l'organisent. En revanche, aucun texte spécial ne vient régir l'achat par deux concubins.

Mais ce n'est pas parce que vous n'êtes pas mariés que vous ne pouvez pas acheter un logement. Des mécanismes plus généraux peuvent être utilisés : c'est la cas de l'indivision, de la tontine et de la SCI. A vous de choisir la solution la mieux adaptée à votre couple.

L'indivision : deux propriétaires indivisaires

L'indivision existe dès lors que deux personnes non mariées décident d'acheter un logement en commun. On dit alors qu'elles sont toutes deux propriétaires d'un bien indivis, à hauteur de leur apport.

Le fonctionnement de l'indivision

L'indivision s'organise en faisant figurer dans le contrat le nom de chaque concubin. N'oubliez pas d'y indiquer votre participation financière respective, nécessaire à l'acquisition du logement.

Indivision égalitaire ou inégalitaire. L'indivision peut être égalitaire, c'est-à-dire que vous êtes propriétaire de la moitié du bien. Mais elle peut aussi être inégalitaire. Tout dépend du montant de votre participation. C'est ainsi que la répartition peut être de 30/70 ou de 40/60... Respectez fidèlement la réalité pour éviter d'éventuelles difficultés ultérieures.

Si par exemple vous indiquez dans l'acte une répartition de 50/50 alors qu'en réalité vous financez la quasi-totalité du logement, ce n'est pas sans risque. En cas de contrôle du fisc, vous pourriez voir l'opération requalifiée en donation déguisée et ainsi devoir payer des droits au taux de 60%. Par ailleurs, en cas de mésentente et si vous revendiez le bien, vous auriez toutes les difficultés pour récupérer votre part réelle auprès de votre compagnon, ce dernier étant tenté de s'en remettre à la répartition telle qu'indiquée dans l'acte de vente...

Organiser l'indivision

L'indivision s'applique de plein droit. Autrement dit, en dehors de toute précision particulière dans l'acte de vente, vous serez soumis à ce régime légal. La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, applicable depuis le 1er janvier 2007, a assoupli le statut de l'indivision. Depuis cette date, l'unanimité n'est plus systématique et la majorité des 2/3 est suffisante pour accomplir certains actes de gestion. Seule la vente du bien demeure toujours soumise à l'unanimité. (sauf cas ci-dessous)

Vente du bien indivis : exception à la règle de l'unanimité. La loi de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures du 12 mai 2009 supprime l'unanimité pour la vente des biens indivis à condition que le ou les demandeurs indivisaires soient titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis (plus de 66% de la propriété du bien).
Ces derniers peuvent dans ce cas, demander au tribunal de grande instance (TGI), l'autorisation de vendre un bien indivis. Le notaire des vendeurs signifie ensuite, par huissier, leur intention aux autres propriétaires indivis. Si ces derniers s'opposent à la vente ou ne se manifestent pas dans les trois mois, le notaire établit un procès-verbal qui permet aux vendeurs de demander au tribunal de grande instance l'autorisation de vendre aux enchères le bien (article 815-5-1 du Code civil).

Les limites de l'indivision

En cas de séparation. Si vous êtes d'accord pour vendre le logement, vous vous en partagerez le prix à hauteur de votre participation. Par contre, si vous désirez conserver le bien, rien ne vous interdit de racheter la part de votre compagnon. Toutefois, si cette séparation se passe mal, la seule solution qui s'offre aux concubins est de saisir le tribunal de grande instance.

Le silence de l'indivisaire restant. Depuis janvier 2007, la loi donne aux héritiers face à un indivisaire qui ne se décide pas et reste silencieux les moyens d'agir. Ils peuvent le mettre en demeure de se faire représenter s'il ne souhaite pas participer lui-même aux opérations de partage. S'il ne réagit pas dans les trois mois, les autres indivisaires pourront saisir le juge pour qu'il désigne un représentant à sa place. Ainsi, soit l'indivisaire s'implique, soit le représentant se substitue à lui. Dans ce dernier cas, le projet de partage décidé entre les indivisaires et le représentant sera soumis à autorisation du juge.

Et autre nouveauté : la vente des biens ne se fera plus automatiquement par voie d'enchères. Les indivisaires pourront vendre et négocier eux-mêmes.

 La tontine : la pleine propriété rétroactive pour le survivant

La tontine est une formule juridique qui prévoit qu'au décès du premier acquéreur, le survivant est considéré comme ayant toujours été l'unique propriétaire. Autrement dit, la tontine permet au concubin survivant de recouvrer la pleine propriété du bien avec effet rétroactif au jour de l'acquisition. A la différence de l'indivision, la part du compagnon décédé n'a pas à être rachetée. Le survivant est réputé avoir toujours été propriétaire de la totalité du bien.

Une formule extrêmement protectrice pour le concubin survivant. En conséquence, les héritiers du défunt ne peuvent prétendre à aucun droit sur le logement. Si vous envisagez un tel dispositif avec votre compagnon, n'oubliez pas de le prévoir lors de la conclusion de l'acte de vente en y introduisant un pacte dit « tontinier ».

Les inconvénients de la tontine

Même si elle protège efficacement le concubin survivant, la tontine comporte deux inconvénients majeurs.

Une contrainte civile. Si vous décidez de vous séparer, vous pouvez, en cas d'accord avec votre compagnon, vendre le logement ou racheter sa part. Mais la situation devient en revanche beaucoup plus préoccupante en cas de mésentente chronique. En effet, à l'inverse de ce qui se passe en matière d'indivision, vous ne pouvez pas provoquer le partage en justice, ni même exiger la vente du logement. La situation devient alors complètement bloquée et il n'y a pas d'autre moyen que d'attendre... le décès de l'un d'entre vous. Une situation qui est loin d'être enviable en dehors de tout accord pour en sortir.

Une fiscalité pénalisante. De plus, sur le plan fiscal, le concubin survivant ne paie que des droits de mutation (5,09%) si le bien constitue sa résidence principale et que sa valeur, au jour du décès, est inférieure à 76 000 € (plafond qui n'a jamais été réévalué par l'administration fiscale). En revanche, si sa valeur est supérieure à ce montant, le survivant paie des droits de succession à hauteur de 60% diminués d'un abattement de 1 570 €. Inutile de dire qu'avec un tel plafond, vous serez bien souvent taxé au prix fort. Rares sont en effet les résidences principales, surtout dans les grandes agglomérations, qui ont une valeur inférieure à 76 000 €.

La SCI : deux titulaires de parts sociales

En utilisant ce montage juridique, ce n'est pas vous qui achetez personnellement, mais la société par l'intermédiaire de vos apports. En d'autres termes, c'est la SCI qui est propriétaire du logement. Vous êtes uniquement titulaires de parts en proportion de vos apports.

Constituer une SCI n'est pas très compliqué : deux personnes suffisent sans qu'un capital minimal ne soit requis. Seules formalités : la rédaction de statuts et l'inscription de la société au Registre du commerce et des sociétés (RCS). Prévoyez donc à cet effet des frais qui peuvent avoisiner les 1 500 € si vous vous faites assister, le cas échéant, par un professionnel.

Le fonctionnement de la SCI

A la différence de l'indivision, la durée de vie d'une SCI est beaucoup plus longue : au maximum 99 ans. De quoi être tranquille pendant un bon moment, le temps d'organiser vos rapports avec votre compagnon. Cette durée est un facteur de stabilité. En effet, l'un des associés ne peut pas demander la liquidation de la société avant que le terme ne soit expiré. En outre, ce sont les statuts qui fixent « les règles du jeu » entre vous et votre compagnon.

Une organisation plus libre. Autrement dit, vous avez toute liberté pour insérer des clauses particulières que vous aurez choisies en commun. C'est ainsi par exemple que vous pouvez prévoir que pour tels types de décisions, l'accord de l'un est suffisant alors que pour d'autres l'unanimité est obligatoire ; de faciliter le retrait de l'un d'entre vous en cas de séparation ; de dissoudre la société en cas de décès de l'un des associés ou au contraire de prévoir que le survivant peut racheter les parts du défunt.

Les avantages de la SCI

La cession de parts sociales est taxée à 5% depuis le 1er janvier 2006. L'intérêt principal d'une SCI réside dans la possibilité de mettre en place un montage assez particulier permettant, au jour du décès de l'un d'entre vous, de protéger efficacement le survivant. On parle alors d'achat croisé.

Le démembrement de propriété. Rappelons que la propriété se décompose en deux entités distinctes : l'usufruit (droit d'habiter ou de louer le bien) et la nue-propriété (droit de vendre). Démembrer la propriété revient à séparer ces deux droits : l'usufruit est détenu par l'un, tandis que la nue-propriété est détenue par l'autre.

L'achat croisé. Vous allez au départ acquérir en pleine propriété l'ensemble des parts de la SCI. Puis vous procédez immédiatement après à un échange de la nue-propriété (ou de l'usufruit) des parts que vous détenez contre la nue-propriété (ou l'usufruit) des parts détenues par votre compagnon.

Imaginons le cas de Thomas et Véronique... Tout d'abord, ils achètent un logement d'une valeur de 140 000 € par l'intermédiaire d'une SCI. Chacun apporte la moitié, soit 70 000 €. Ils sont donc respectivement détenteurs en pleine propriété de 70 parts (70 x 1 000 = 70. 000 €). Ensuite, ils procèdent à un démembrement des parts qu'ils échangent entre eux. La répartition s'effectue de la manière suivante :

   1ère moitié, soit 70 parts  2ème moitié, soit 70 parts
 Thomas  Nue-propriété  Usufruit
 Véronique  Usufruit  Nue-propriété

 Thomas décède le premier. Sur la première moitié, ses parts en nue-propriété vont être transmises à ses héritiers et Valérie en conservera l'usufruit. En revanche, elle sera pleinement propriétaire de la deuxième moitié car le décès de Thomas entraîne l'extinction de l'usufruit. Il en résulte ainsi que les héritiers de Thomas ne pourront exiger le partage et que Véronique est assurée de rester dans le logement jusqu'à son décès.

Les inconvénients de la SCI

Les formalités. D'abord, comme toute société, constituer et gérer une SCI entraîne un formalisme de plus en plus lourd : rédaction des statuts qui devient de plus en plus complexe afin d'optimiser au mieux la gestion de l'union libre, organisation obligatoire d'assemblées générales, comptabilité tenue régulièrement...

Le financement. Il n'est pas possible d'acheter des parts de SCI par l'intermédiaire d'un plan ou d'un compte épargne-logement. De même, vous ne pouvez pas solliciter ni un prêt à taux 0%, ni tout autre prêt conventionné).

La fiscalité. Lorsqu'un logement appartenant à une société est mis gratuitement à la disposition d'un associé, ce dernier bénéficie en cas de vente du logement par la société, de l'exonération de la plus-value au titre  de la résidence principale comme s'il en avait été lui-même propriétaire. L'exonération ne porte que sur la partie d'immeuble qu'il habite et elle est calculée au prorata des droits qu'il détient dans la société.


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